Année 2020-2021, Un nouveau chemin ?
Edito de Philippe Vincent, Secrétaire général
(Direction 270, Octobre/Novembre 2020)
Une nouvelle rentrée, à peine 5 mois après la précédente, dans un contexte historique et sanitaire exceptionnel qui a placé les personnels de direction dans une situation inédite et sans doute durable. Une crise persistante qui interroge l’organisation même de l’Education Nationale, à tous ses échelons. Comment intégrer les nouveaux modèles d’enseignement innovants ? Comment repenser la communication entre le ministère et les acteurs de terrain ? Comment retrouver la confiance des personnels de direction, brisée par des semaines de cacophonie ? Comment, enfin, se positionner syndicalement et ne pas succomber aux appels à la contestation colérique voire violente ? Il nous faut peut-être découvrir de nouveaux chemins… ou arpenter ceux que nous connaissons bien.
Alors qu’au sortir de l’année scolaire dernière, nous avions le secret espoir que, non seulement, le pire était derrière nous, mais que nous pourrions même en cette rentrée retrouver le fonctionnement habituel de nos établissements, nous sommes bien obligés de collectivement déchanter.
Hélas non, le virus n’a pas disparu à la belle saison comme les optimistes nous l’annonçaient, souvent bien trop sûrs de leur fait ! Hélas non, nous ne pourrons pas nous passer de mesures internes, souvent contraignantes et peu agréables, de protection sanitaire. Eh hélas oui, nous allons d’évidence devoir nous habituer à la gestion dans nos EPLE d’une crise longue, là où nous étions à peine formés à la gestion d’une crise courte et là où nous avons aussi bien vu les difficultés à gérer les aléas d’une crise à épisodes.
Dans ce contexte incertain, le Président de la République, faisant sienne la formule consacrée « A toute chose, malheur est bon », a invité le pays à se saisir de cette situation inédite de crise pour tirer quelques leçons salutaires de notre histoire sociale récente et nous inviter à prendre un nouveau chemin. Une formule actualisée et généralisée du fameux « rebondir » qui, gimmick de vocabulaire, avait envahi bien des discours il y a quelques années au même titre que « faire sens » ou « positiver ».
En dépit de l’absence d’inventivité de cette orientation politique « newdealesque », acceptons pourtant le principe, qu’effectivement, notre nation ne peut rester éternellement enfoncée dans l’enfermement, le repli et le marasme et que, si nous devons engager des moyens conséquents faits de dizaines de milliards d’euros pour nous en sortir au plus vite, autant le faire avec des progrès certains et des dispositions durables, propres à éviter la reconduction systématique des difficultés du moment.
Quel sera alors spécifiquement ce nouveau chemin pour notre système éducatif ? Sans être devin, gageons qu’il devrait a minima se parcourir entre quatre grandes bornes kilométriques. La nécessité de se plier à une incontournable priorité sanitaire, avec pour nous, des contraintes organisationnelles plus ou moins fortes dont le caractère coercitif pourra peser sur le quotidien de nos établissements, voire parfois l’empêcher comme l’an dernier. Ensuite, les besoins de réduire ou compenser les dégâts scolaires et/ou éducatifs et sociaux en tous genres que nous allons découvrir chez nos élèves dès cette reprise. Puis, l’utile prise en compte de l’émergence récente de nouvelles formes d’enseignement et de relations pédagogiques nées des obligations distancielles du confinement. Et enfin, chose à laquelle la mémoire de forme multiséculaire de notre institution nous avait bien mal préparés, une gestion permanente, au caractère bien plus prégnant et bien plus élevé, des notions de risque et de priorité dans le pilotage de nos établissements.
Il faudra donc bien que notre ministère, s’il veut lui aussi se mettre sur cette route en partie neuve, s’organise pour prendre l’ensemble de ces paramètres en considération (et j’en oublie certainement bien d’autres !), s’il entend que notre écosystème éducatif puisse s’adapter à ce nouveau paradigme et ne soit pas dans l’incapacité de faire face, avec réactivité et efficience, aux répliques sismiques virales, si ce n’est certaines au moins fort probables.
Mais ce nouveau chemin sera-t-il aussi emprunté par notre ministre dans ses relations de déplacement au long court avec les personnels de direction ? Car le moins que l’on puisse dire est que la voie est pour le moment bien mal pavée !
Une nouvelle fois, mais, ce coup-ci ensemble et d’une seule voix, les trois organisations syndicales représentatives des personnels de direction, et le SNPDEN-UNSA en tête, ont redit à Jean-Michel Blanquer combien nos collègues étaient lassés, désabusés, éreintés, en proie au doute et en perte de sens, voire en colère et ce le plus souvent contre leur ministre lui-même. Monsieur Blanquer a dit entendre ce constat, vouloir le prendre en compte et y apporter remèdes et solutions, tout en considérant, qu’au moins pour la partie fatigue, il s’agissait là d’une forme de normalité attendue dans une situation qui nous demandait autant d’efforts dans la durée.
Ce constat commun fait en GNPD rue de Grenelle fin août, devant un important aréopage ministériel et administratif, a, une fois de plus, permis de mettre en évidence les trois griefs les plus courants faits par les personnels de direction au ministre. La lenteur de la prise de décision associée à des diffusions trop tardives, la versatilité des mesures et leur inadéquation récurrente, le choix prioritaire d’une communication grand public via les médias sont les reproches qui reviennent le plus souvent dans l’expression des collègues. A cela s’ajoute le sentiment d’un manque chronique de connaissance de nos conditions réelles d’exercice du métier et donc de reconnaissance de notre action. Et cerise amère sur le gâteau, vient se greffer sur cet ensemble, le fonctionnement erratique des échelons hiérarchiques académiques intermédiaires fait d’anticipations inadaptées, d’interprétations hasardeuses, de réécritures inutiles et d’injonctions infantilisantes qui ont au final le don de mettre globalement la profession à cran.
Cet état de fait et ce constat sévère se traduisent par ce qui ressemble fort à une rupture nette avec notre corps et, élément aggravant quand on sait combien cet élément est une priorité du MEN, une perte de confiance dans la parole ministérielle. Nous avons donc demandé au ministre de prendre des initiatives majeures et fortes, pour qu’en sus du travail de dialogue social en cours qui devrait porter ses fruits à court et moyen terme, il tente de renouer le lien distendu avec la profession. Car outres des mesures nécessaires à venir, dont certaines constitueront des avancées conséquentes ou des progrès notables, on voit bien que c’est sur les mentalités ou les esprits que Jean-Michel Blanquer doit agir s’il veut arriver à modifier l’opinion à son égard dans nos rangs et « renverser la table » avec les personnels de direction. Espérons que notre message clair et unanime, mais impatient, sera passé puisque le ministre a affirmé l’avoir reçu « 5 sur 5 » pour reprendre sa propre expression devant nous.
Mais du coup, le SNPDEN devra-t-il alors lui aussi prendre un autre chemin et adopter, du fait de ces multiples modifications de notre environnement et de nos pratiques professionnelles, d’autres modalités d’actions syndicales ? Ici ou là, et souvent en fonction de la plus forte pression exercée sur eux par les niveaux académiques, nos collègues réclament des formes plus démonstratrices d’action. Si l’on peut, compte tenu des fortes tensions ressenties, comprendre ce besoin d’exprimer avec force un mal-être sous la forme d’une catharsis libératoire, devons-nous pour autant considérer que donner un cadre à nos syndiqués pour crier « ASSEZ » ou « STOP » soit suffisant en soi ?
Quand on y réfléchit à deux fois, on voit aisément les limites de ce type de mono-réponse syndicale. Outre que la seule dénonciation des insuffisances diverses de nos tutelles, de leur incapacité à appréhender nos contraintes professionnelles ou de leur impossibilité à mettre en place des formes de gouvernance plus collaboratives et plus respectueuses, ne suffit bien évidemment pas à engendrer des modifications de comportements ou de pratiques qui soient sources d’améliorations effectives, il faut aussi mesurer les risques que nous fait courir ce recours à la simple déploration. Risques de dérives populistes, risques de fuite en avant, risques de récupération, accrus par le fait que nous sommes considérés comme des cadres raisonnables et responsables du fait de nos emplois, sont parmi les dommages collatéraux possibles de ces tentations multi-contestatrices.
Le SNPDEN, parce qu’il est ce qu’il est, et parce qu’il s’est construit et développé sur un ADN autre, se doit de conserver la crédibilité de ses choix en mettant en œuvre une double contrainte. D’une part l’obligatoire expression de l’état d’esprit réel de la profession à un temps T, et ceci afin de rester en prise directe avec elle et ne pas apparaitre comme une technostructure déconnectée. Mais d’autre part, la nécessité tout aussi impérieuse de déterminer ce qui constitue les bases d’une insatisfaction majoritaire, de préciser les manques ou les inadaptations qui perturbent l’exercice de nos directions, bref de générer un consensus sur ce qui fait masse ou priorité en termes de revendications pour en faire notre corpus de mandats.
C’est à cette seule et double condition que le SNPDEN pourra maintenir la crédibilité qui est la sienne, tout autant auprès de ses adhérents ou sympathisants, qu’auprès de nos interlocuteurs de tous ordres. C’est parce que notre diagnostic sera précis, solide et cohérent sur nos conditions de travail, sur nos rémunérations, sur la gouvernance, sur le paritarisme, entre autres sujets nous concernant, que notre analyse pourra être prise en considération et que nos demandes et propositions apparaitront sans conteste justes et légitimes. Et donc susceptibles d’être satisfaites !
Sans doute est-ce un chemin tortueux et pentu mais, après des décennies de syndicalisme de direction, nous avons collectivement fait la preuve qu’avec conviction et détermination, force parfois aussi, nous savions exactement exprimer, convaincre et obtenir avancées et progrès pour tous et chacun. Alors, oui, sans doute y-a-t-il encore du chemin à parcourir et vraisemblablement cet itinéraire ne sera-t-il pas toujours couvert de pétales de rose mais, non, nous n’entendons pas changer de cap, le chant des sirènes fût-il enjôleur. Car nous avons la certitude d’être sur la bonne voie et, qu’une fois de plus, notre action paiera. Et puisque cette année scolaire sera celle de notre congrès national, ce sera à l’ensemble de nos adhérents, bilan fait et perspectives arrêtées, de revalider cette feuille de route.
Excellente année scolaire à vous, en espérant que les embellies tant souhaitées soient enfin rapidement au rendez-vous !