Formation continue à l’EN : en progrès mais peut mieux faire !

A la suite de l’organisation, du 16 au 19 novembre 2020, de sa 6ème conférence de comparaisons internationales, sur le thème de la formation continue et du développement professionnel des personnels d’éducation, le CNESCO propose un état des lieux précis du sujet dans un dossier complet mis en ligne début février .

Si le taux de participation des personnels à la formation continue est en net développement depuis plusieurs années, il en ressort cependant en pratique qu’elle ne touche toujours pas l’ensemble des personnels et demeure « inégalitaire » et « élitiste ». Elle est de plus « encore souvent perçue comme une prescription descendante peu connectée aux besoins réels rencontrés au quotidien et les personnels sont peu acteurs de leur développement professionnel ».

« Plus que la quantité, c’est la qualité de la formation continue des personnels scolaires qui interroge en France » souligne Nathalie MONS dans l’avant-propos du dossier de synthèse.


Avant-propos

« Rapports après rapports, les faiblesses de la formation continue des personnels dans notre système scolaire sont pointées. Les résultats des élèves français aux différents palmarès internationaux, les PISA, TIMSS… nous classeraient en bas de peloton, faute, entre autres d’une formation continue suffisante. En particulier, les professeurs français seraient sous-formés par rapport à leurs collègues étrangers ». 

Face à de telles affirmations, le CNESCO a réuni, pendant deux ans, une équipe pluridisciplinaire renforcée d’universitaires français et étrangers (Universités de Bordeaux, de Genève, de Montréal) pour conduire des investigations approfondies et établir un état des lieux de la réalité de la formation continue dans le système scolaire français. Le bilan présenté dans le dossier de synthèse est certes en net progrès mais présente encore des faiblesses certaines.

Ce qu’il faut retenir du diagnostic du CNESCO

En France, le taux de participation à la formation des personnels d’éducation est en net développement mais n’est pas encore universel et relève des différences entre personnels.

  • Du diagnostic établi par le CNESCO, il ressort que les personnels du primaire sont davantage formés que ceux du secondaire. 71 % des enseignants du 1er degré déclarent avoir participé à des cours ou des séminaires en présentiel au cours des douze derniers mois ayant précédé l’enquête, et au collège, un enseignant sur deux (50 %) déclare avoir participé à des activités de formation contre 76 % dans l’OCDE (Talis 2018). 
  • La France s’inscrit d’ailleurs dans la catégorie des pays de l’OCDE ne fournissant pas une formation continue obligatoire pour tous ses personnels, sauf pour les enseignants du 1er degré. 
  • Pourtant, les enseignants français sont dans l’OCDE parmi les plus demandeurs de formation continue sur des thématiques sensibles (enseignement à des élèves à besoins particuliers, approches pédagogiques individualisées, compétences numériques dans la pédagogie, enseignement en milieu multiculturel ou plurilingue, évaluation des élèves). 

Parmi les cadres, les inspecteurs plus formés que les chefs d’établissement, eux-mêmes plus formés que les enseignants 

  • 76 % des directeurs d’école (déchargés d’enseignement) et 79 % des chefs d’établissement dans le second degré ont eu accès à des actions de formation continue de l’Éducation nationale en 2017-2018 (Bilan social du MEN 2019-2020). 
  • Quant aux personnels d’inspection, ils apparaissent comme les grands privilégiés de la formation continue, leur participation à de la formation continue est quasi-universelle (97 %) pour les inspecteurs du premier degré et très élevé (86 %) pour ceux du second degré. 
  • Le CNESCO s’interroge ainsi sur l’existence d’une politique de formation élitiste, qui aurait, par le passé, privilégié la formation des inspecteurs au détriment de celles des personnels devant élèves.

Une formation continue qui ne s’accompagne pas systématiquement d’un retour positif des enseignants ni d’une évolution de leurs pratiques pédagogiques

  • Selon Talis 2018, 38 % des professeurs des écoles considèrent que leur participation à des formations continues n’a pas eu d’impact positif sur leurs pratiques pédagogiques (contre 9 % en Angleterre, 16 % en Espagne, 19 % en Suède). Il en résulte, sur des dimensions centrales du métier, un sentiment d’efficacité des enseignants français qui demeure faible et largement en retrait par rapport à celui de leurs collègues européens. 
  • Seul un cinquième des enseignants français de collège (contre près de 40 % en Europe) ont le sentiment d’être compétents pour « amener les élèves à se rendre compte qu’ils peuvent avoir de bons résultats scolaires » ou encore pour appliquer une variété de pédagogies dans la classe, gage de réussite des élèves en difficulté notamment. 
  • De même, tous les enseignants ne se sentent pas parfaitement outillés pour conduire les élèves à respecter les règles de vie en classe ou à accompagner l’entrée dans les apprentissages des élèves qui seraient décrits comme perturbateurs. 

Une offre de formation tenant peu compte des besoins réels des enseignants

  • En France, la formation continue des personnels d’éducation procède de façon le plus souvent descendante, sans connaissance solide des besoins réels de formation des personnels, faute d’échange entre hiérarchie et personnels à ce sujet, le plus souvent.
  • Ainsi, seuls 53 % des enseignants du premier degré n’occupant pas de fonction de direction et 36 % des enseignants du second degré déclarent discuter de leurs besoins en formation avec des personnels de direction ou d’encadrement (Enquête Cnesco, 2021). 
  • 83 % des enseignants de collège disent n’avoir jamais été consultés sur l’offre de formation (Talis 2018).
  • Le choix des formations est souvent imposé pour une part importante des enseignants, notamment ceux du primaire, générant un intérêt limité. 

Des formations trop courtes, isolées, sans mise à l’épreuve sur le terrain 

  • Eloignées de besoins réels, le plus souvent sur le modèle du cours ex cathedra, les formations sont aussi jugées par les enseignants de trop courte durée pour permettre des allers-retours entre compétences nouvellement acquises et mise en œuvre sur le terrain. Elles sont de plus, le plus souvent « maison » (l’Éducation nationale forme l’Éducation nationale) et donnent rarement lieu à l’attribution d’un diplôme.
  • Interrogés sur les caractéristiques de leurs formations qu’ils considèrent comme efficaces, seuls 27 % des enseignants français déclarent que ces formations prévoyaient des activités de suivi contre 52 % dans l’OCDE (Talis 2018). 
  • Parmi les enseignants du second degré ayant suivi des formations entre 2018 et 2020, 53 % ont participé à une formation mise en place spécifiquement par leur établissement (Enquête Cnesco, 2021). 

L’engagement dans la formation peu valorisé par l’institution 

  • Le suivi d’actions de formation continue n’est pas valorisé dans les carrières des personnels. Les entretiens d’accompagnement de carrière entre inspecteurs et enseignants par exemple ne permettent pas systématiquement d’évoquer les efforts faits dans ce domaine. 
  • Seuls 47 % des enseignants du premier degré et 56 % des enseignants du second degré ayant eu un rendez-vous de carrière indiquent avoir abordé des questions de formation au cours de ce rendez-vous (Enquête Cnesco, 2021). 
  • La qualité des formations continues et du vivier des formateurs n’est pas systématiquement évaluée.

Les formations hors Éducation nationale sur le temps personnel sont courantes 

  • Près de la moitié des enseignants (44 % dans le 1er degré et 47 % dans le 2nd degré) indiquent avoir participé au cours de leur carrière à des actions de formation continue proposées par d’autres structures que l’Éducation nationale : universités, mouvements pédagogiques, associations, syndicats… (Enquête Cnesco, 2021).

Les 15 préconisations du CNESCO

Face à ce bilan certes en net progrès mais encore marqué par des faiblesses importantes, le Cnesco formule 15 préconisations centrales autour de 5 axes

Axe 1. Actionner différents leviers d’incitation pour engager les personnels dans la formation et la rendre ainsi universelle 

  • Dédier du temps à la formation pour garantir un droit à la formation à chaque personnel mais aussi chaque établissement
  • Prendre en compte les besoins des personnels en formation et les discuter au sein des conseils des établissements
  • Construire un cadre de formation collective plus motivant qui permet de sortir les personnels de la solitude par la création de communautés apprenantes

Axe 2. Construire un écosystème institutionnel favorable 

  • Développer et former les RH dédiées à la formation continue
  • Développer et professionnaliser le vivier de « formateurs maison »
  • Développer des outils ergonomiques pour suivre le parcours de formation
  • Mettre en place un système d’évaluation systématique des formations

Axe 3. Nourrir la formation continue par la recherche 

  • Promouvoir l’entrée dans les formations universitaires
  • Développer des appels à projets de recherche par l’Agence nationale de la Recherche (ANR) d’équipes mixtes de chercheurs et de praticiens
  • Organiser un plan national d’établissements apprenants/ou de communautés apprenantes

Axe 4. Soutenir les personnels les moins expérimentés par des accompagnements dédiés

  • Renforcer des politiques d’accompagnement des personnels à l’entrée dans les métiers de l’éducation, pour les étudiants sortant de formation initiale
  • Développer des plans de formation personnalisés et des programmes de mentorat

Axe 5. Reconnaitre dans la carrière les efforts et compétences acquises par la formation

  • Permettre à chaque personnel de suivre son parcours de formation
  • Accorder lors des rendez-vous de carrière un temps obligatoire d’analyse aux actions de formation continue entreprises
  • Amplifier le développement, dans tous les établissements, de la reconnaissance de missions collectives exercées par les enseignants.