La formation des personnels de direction. Jean Marie Panazol (mars 2014)
Les enjeux de la formation des personnels de direction
Direction : Quels sont aujourd’hui les enjeux de la formation des personnels de direction au sein de l’École supérieure de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ?
Jean-Marie Panazol : Un personnel de direction, qu’il soit chef ou adjoint, joue un rôle central dans l’efficacité du système éducatif et la réussite des élèves. L’autonomie, les projets d’établissement, la collaboration avec les collectivités territoriales, la liberté pédagogique des enseignants, les relations avec les partenaires de l’école sont autant d’éléments qui ont profondément modifié ses missions. Il n’est plus l’ultime rouage d’une chaîne hiérarchique bureaucratique. C’est aujourd’hui un cadre disposant d’un espace de responsabilité et de marges de manœuvre dans la prise de décision. Sa compétence dépasse très largement la simple capacité à maîtriser le Code de l’éducation et à mettre en œuvre des consignes hiérarchiques. Repérer les compétences et les mobiliser au service des projets pédagogiques de l’établissement, impulser l’innovation pédagogique, argumenter et convaincre, intégrer l’établissement dans un environnement de plus en plus complexe et turbulent, gérer les relations avec toutes les parties prenantes (élus, parents d’élèves, associations partenaires, syndicats…), mettre en oeuvre les priorités ministérielles dans l’action quotidienne… sont autant de qualités professionnelles à acquérir. Mais l’enjeu le plus important de la formation est sans aucun doute celui du développement de la capacité à gérer l’instabilité systémique des organisations scolaires. A l’opposé d’une formation normative, standardisée et stéréotypée, c’est bien la capacité à intégrer en permanence le changement dans son mode de fonctionnement, voire même à le provoquer (management de l’innovation), qu’il faut retenir comme ultime finalité. Comme pour toute organisation sociale, l’instabilité ne doit pas être perçue comme un danger ou un risque mais comme une nécessité, voire une opportunité. Le propre du décideur devient alors sa capacité à la gérer.La formation initiale et continue doit permettre à chaque lauréat du concours, quelle que soit son origine ou son expérience, de travailler ces sujets en s’inscrivant dans un parcours de formation qui nécessairement devra durer plusieurs années.
Les priorités de la formation
Quelles sont, selon vous, les priorités de la formation des personnels de direction ?
L’ESENESR, l’académie et l’établissement d’affectation, solidaires dans la mise en œuvre d’une formation efficace et adaptée aux besoins de l’institution et de l’individu, doivent bien évidemment donner rapidement aux lauréats des concours les clés nécessaires à une prise de fonction réussie, en quelques semaines seulement. Mais cet objectif de très court terme, certes indispensable, ne doit pas faire oublier que le recrutement et la formation d’un chef d’établissement s’inscrivent dans un temps long. Celui-ci aura à prendre en charge des établissements de type différents, à assumer des missions très différentes les unes des autres. Ce sont les bases d’une carrière rythmée par des temps, des lieux et des responsabilités d’une grande diversité qu’il faut construire dès le début de la formation. Au-delà de la professionnalisation immédiate et des « standards » professionnels, les nouvelles orientations ministérielles en matière d’éducation conduisent à privilégier quatre priorités : l’intégration dans un environnement complexe et la gestion des partenariats, le management participatif, le management de l’innovation pédagogique, le pilotage « du » et « par » le numérique. En priorité, il est impératif d’apprendre à gérer la complexité professionnelle croissante et à travailler la question des relations multiples à gérer entre l’établissement et son environnement. Que ce soit avec les collectivités territoriales, les associations partenaires de l’école, les parents d’élèves, les autres établissements scolaires du territoire… c’est l’image de l’établissement et sa place dans l’écosystème du territoire qui sont en jeu. Mais il faut également aborder très rapidement la question du type de management à mettre en œuvre au sein d’un établissement scolaire. A l’heure de la masterisation et de l’élévation des qualifications des enseignants, de leur demande légitime d’être plus étroitement associés à la vie de l’établissement, c’est une nouvelle étape de l’autonomie qu’il faut franchir. Il faut résolument s’écarter du paradigme bureaucratique et du pilotage par la norme et par la règle. Si la réglementation et les programmes doivent bien évidemment rester le cadre de référence, le management « de » et « par » la compétence, la responsabilisation des acteurs, sont autant de capacités managériales à développer en formation. C’est dans ce contexte d’un management par projets, associant les différents acteurs de la communauté éducative en fonction de leurs compétences et de leurs appétences, qu’il faut replacer la question de l’innovation pédagogique. Nous entrons dans l’ère de la post-massification. Le défi de la réussite de tous et donc de chacun, de la réduction des inégalités scolaires, qu’elles soient sociales ou territoriales, de la réduction massive du décrochage scolaire et du développement du raccrochage, ne sera relevé que par une innovation pédagogique permanente, généralisée et vraisemblablement totalement déconcentrée. La responsabilité de l’impulsion, de la mise en œuvre et de l’évaluation, autrement dit du management, de cette innovation pédagogique, volet trop souvent occulté de la liberté pédagogique de l’enseignant, incombe en priorité aux chefs d’établissement et aux inspecteurs. Aujourd’hui n’importe quel élève peut accéder à la connaissance via Internet. L’information circule à grande vitesse via des médias inconnus il y a quelques années. Le numérique devrait profondément modifier les relations pédagogiques et le rapport au savoir. C’est la place de l’enseignant et, quelque part, les fondements de sa légitimité qui sont questionnés par l’irruption massive et irréversible du numérique sous toutes ses formes. Cette « révolution pédagogique » doit être accompagnée et si possible maîtrisée. Mais le numérique bouleverse également les rapports humains et les relations socioprofessionnelles des organisations. Formation à distance, partage d’informations à distance via les espaces numériques de travail, élaboration et mise en œuvre de projets à l’aide d’outils numériques, c’est toute l’organisation du travail de la communauté scolaire qui s’en trouve modifiée. Non seulement le chef d’établissement ne peut rester à l’écart de cette réalité mais encore doit-il en être en partie l’animateur, le coordonnateur.
La spécificité des adjoints dans la formation statutaire
Comment tenez-vous compte de la spécificité des missions d’adjoint dans la formation statutaire ?
Dans un premier temps, il convient effectivement de faire la distinction entre la fonction d’adjoint et celle de chef d’établissement. Certes tous passent le concours pour devenir un jour proviseur ou principal. Mais les missions d’un adjoint, poste occupé pendant quelques années lors de l’entrée dans le métier, sont spécifiques et doivent être prises en compte dans la formation initiale. Pour autant, la formation statutaire doit préparer à la prise de responsabilités et aux compétences propres d’un chef d’établissement. C’est d’abord dans une meilleure articulation entre les trois lieux de formation (ESENESR/académie/établissement d’affectation) que réside en partie la réponse à cette question. Une grande partie des responsabilités propres d’un adjoint peuvent en effet se travailler en lycée d’affectation ou en académie lors des regroupements proposés par le plan académique de formation des cadres. Le film annuel et les ressources mises à disposition par l’ESENESR doivent proposer des contenus s’adressant plus particulièrement aux adjoints. En lien étroit avec l’IGEN et avec l’appui de praticiens, il faudra réfléchir à proposer des parcours plus spécifiquement destinés aux adjoints, sans perdre de vue l’objectif à moyen terme d’une formation à la prise de décision. Mais il nous faudra également renforcer, en formation continue cette fois, les actions destinées à accompagner la transition adjoint/chef. Le parcours « chef d’établissement ordonnateur » ou le nouveau parcours « juridique » proposé en 2013/2014 sont des exemples à évaluer et à promouvoir. Mais ces réponses purement techniques, opérationnelles, devront être mises en perspective avec le résultat des discussions actuellement engagées sur les métiers de l’éducation et des précisions éventuellement apportées au statut et aux missions de l’adjoint.
Les moyens d’individualiser la formation statutaire
Comment envisagez-vous de mieux individualiser la formation statutaire initiale et notamment de tenir compte de la diversité des origines des lauréats du concours ?
C’est dans la bonne articulation de la formation à l’ESENESR, en académie et dans l’établissement d’affectation, que réside une partie de la réponse à cette question. Et sur ce sujet force est de reconnaître qu’il existe des marges de progrès. L’expérience accumulée par les lauréats des concours est d’une grande diversité. Les lieux d’affectation, lieux de découverte et d’exercice du métier, sont également très différents par leur taille, les populations scolaires accueillies, les finalités.Quelques principes à mettre en œuvre pour une meilleure individualisation qui devrait, tous temps et tous lieux de formation confondus, atteindre les 50 % :- à l’ESENESR : proposer des parcours de professionnalisation personnalisés tenant compte de l’expérience acquise et réserver du temps à cet effet ; sur certaines plages horaires, offrir le choix entre plusieurs actions de formation ; démultiplier les parcours hybrides ;- en académie : le bilan d’expérience réalisé en académie doit être approfondi et suivi d’effets. L’ESENESR va proposer aux DAFPE de faire évoluer le protocole actuel par la mise en place d’un groupe de travail spécifique. L’accessibilité aux ressources académiques est un des aspects à prendre en compte. – Au sein de l’établissement d’affectation : l’individualisation doit également se traduire concrètement par la prise en charge de missions ou de dossiers permettant de travailler de nouvelles compétences.
Quelles sont les nouvelles orientations de l’ESENESR ?
L’ESENESR doit faire acquérir un niveau de professionnalisation adapté aux enjeux du système éducatif et apprendre aux différents cadres du système éducatif à travailler ensemble, à répondre collectivement aux défis actuels et futurs de l’éducation scolaire et supérieure. Cette professionnalisation repose sur trois dimensions en interaction permanente : un chef d’établissement est simultanément manageur d’une organisation scolaire, cadre du système éducatif et cadre d’un service public. Ces trois niveaux, ces trois composantes, permettent d’identifier les trois axes de la formation : l’identité professionnelle, la culture partagée, la culture commune. Chaque cadre de l’Education nationale ou de l’Enseignement supérieur a un rôle spécifique à jouer, une mission particulière à remplir. Cette valeur ajoutée, cette contribution sociale et sociétale, sont le fondement de son identité professionnelle. C’est sur cet aspect qu’il faut en premier lieu travailler, dans une approche globale du système éducatif. En quoi est-ce que je contribue à la réussite des élèves et qui me différencie d’un enseignant ou d’un inspecteur, mais toujours en lien avec l’un et avec l’autre ? C’est lorsque cette identité est clairement repérée, installée, qu’il est possible de travailler sur des objets communs, avec les acteurs internes (inspecteurs, conseiller de recteur, DASEN ou DAASEN, directeur de CIO, médecin scolaire…) et les parties prenantes externes (collectivités locales, parents associations partenaires de l’école…). Il s’agira de développer alors une culture partagée, ensemble de comportements et de représentations professionnelles identiques, quelle que soit la fonction considérée, tout en intégrant en permanence les valeurs du service public. Plus généralement, pour l’ensemble des cadres formés, sept grands objectifs peuvent être retenus :- Articuler les plans de formation (initiale et continue) autour des grandes orientations ministérielles ;- Élaborer une offre de formation continue inter-catégorielle en relation avec les problématiques professionnelles des unités éducatives, des services rectoraux ou des services centraux (1) et développer les formations à dimension transversale (animation pédagogique, évaluation, animation de bassin ; gouvernance des unités de formation) ;- Ouvrir de la formation initiale et continue au monde de la recherche universitaire française, européenne et étrangère ;- Développer l’offre de formation diplômante (type MADOS (2), en partenariat avec l’université) et des certifications (en relation avec le CNAM) ;- Développer la culture européenne et internationale des cadres, en renforçant les liens avec l’agence A2E2F, le CIEP, les organismes internationaux et des partenaires européens ;- Renforcer la formation du haut encadrement (recteur, inspecteur général, secrétaire général, DASEN, directeur général des services…) dans une logique d’individualisation et d’adaptation à l’emploi ; – Systématiser les formations d’adaptation à l’emploi en cas de mobilité fonctionnelle ou de promotion.
1. Exemples : le pilotage et la gestion des examens et concours, la gestion de la formation continue des adultes et de l’apprentissage, le contentieux disciplinaire, la gestion de crise, la gestion des contrats des ANT…
2. Master « management des organisations scolaires ».